Facebook, le�d�but de�la�fin�?

Quelque 2,27�milliards d'utilisateurs actifs (donc) contributeurs chaque mois, dont 1,49�milliard au quotidien, et un b�n�fice net encore confortable, ne mettent absolument pas � l'abri des menaces, ni endog�nes ni exog�nes. Pour le leader des r�seaux sociaux, Facebook, les nuages semblent en effet s'amonceler aussi bien � court terme (moins d'un an) qu'� moyen (moins de cinq ans) et long terme. C'est l'objet de l'article, certes plut�t alarmiste, qui va suivre.

Une strat�gie (trop) globale

Le premier niveau de lecture, � court terme, montre que les points de vigilance concernent d'abord des probl�matiques manag�riales et organisationnelles. Ces points tournent autour de la fragilisation du leadership du fondateur, Mark Zuckerberg, dont certains actionnaires veulent clairement la t�te notamment depuis le scandale Cambridge Analytica. � ce propos, le PDG historique du groupe tient r�guli�rement � rassurer et � montrer qu'il tient bon la barre du vaisseau amiral. ��J'aimerais pouvoir dire que r�soudre ces difficult�s sera l'affaire de trois ou de six mois, mais je crois que la r�alit� est que r�soudre certaines de ces questions prendra beaucoup plus de temps��, a-t-il n�anmoins conc�d� dans une interview en avril 2018.

Ces points de vigilances tournent aussi autour des doutes sur la gouvernance du groupe et sur sa capacit� � contrer les pertes financi�res massives en renouvelant son business model. Ce dernier est encore trop centr� sur la vente de publicit�s cibl�es et il conviendrait de le r�orienter vers une transformation de ses utilisateurs de produits (collecte et exploitation des donn�es personnelles) en clients (abonnements, services premium payants, sport, musique, marketplace, etc.).

Un second niveau de lecture montre, qu?en externe cette fois-ci, les aspects � ne pas n�gliger sont principalement li�s � la concurrence et � la r�glementation. La concurrence frontale de la filiale Instagram est r�v�latrice car elle montre le d�samour des jeunes et des influenceurs envers Facebook ? devenu presque ringardis� et contre productif � leurs yeux ? mais n'est gu�re dangereuse financi�rement car le r�seau de partage de photos et vid�os fait parti du m�me groupe.

Les autres concurrences ? hors cas particulier de la Chine ? de Snapchat pour ses stories, de Twitter pour ses contenus, de YouTube pour ses vid�os, de Pinterest, de Tumblr voire de TikTok pour ses filtres ou encore de LinkedIn pour son social selling (utilisation des r�seaux sociaux pour prospecter des clients potentiels) sont en revanche autrement plus redoutables pour le r�seau social g�n�raliste qu?est Facebook. En effet, elles l'attaquent sur ses points faibles en soulignant que la strat�gie (trop) globale du g�ant est fragile, illisible et non p�renne�!

Les aspects r�glementaires et l�gislatifs li�s � la protection des individus, de leurs donn�es personnelles et des cat�gories les plus vuln�rables ? notamment l'av�nement du R�glement g�n�ral sur la protection des donn�es (RGPD) en Europe depuis mai 2018 ? sont �galement inqui�tants pour le r�seau californien. En effet, son mod�le d?affaire, bas� sur la gratuit� de l'usage, est encore trop centr� sur la captation et la mon�tisation des donn�es de profils et de navigation de ses utilisateurs. Cette ressource va-t-elle se tarir et/ou a minima se rench�rir�? La r�ponse est oui�! La gratuit� affich�e sera-t-elle son caillou dans la chaussure �? La r�ponse est � nouveau oui�!

Plus fondamentalement, les utilisateurs (notamment fran�ais) sont de moins en moins convaincus de l'utilit� sociale de Facebook. Selon eux, le r�seau est utilis� pour maintenir des liens faibles plus que pour cultiver des liens forts. Par ailleurs, il s'adresserait de plus en plus � ��des classes moins dot�es culturellement et financi�rement��. Cette perception d�grad�e est, � court terme, inqui�tante notamment face � la crise � la fois r�putationnelle, manag�riale et �conomique � laquelle doit faire face le r�seau.

Des protections (per�ues comme) insuffisantes

Les facteurs internes qui menacent � moyen terme le r�seau social concernent notamment des investissements en termes s�curitaires, per�us certes positivement, mais trop timidement pour lutter contre l'importance de la fraude, des attaques, des malveillances, des manipulations de contenus et du piratage. Du moins, cette volte-face s�curitaire est per�ue comme encore insuffisante pour prot�ger efficacement les comptes et les donn�es personnelles des utilisateurs (produits) et de entreprises (clientes) qui restent le coeur du business model de Facebook.

Il s'agit aussi d'innovations per�ues comme non pertinentes ou non disruptives face � une concurrence toujours plus agressive et inventive. Dans la plupart des cas, Facebook a perdu son leadership et appara�t comme un suiveur plut�t r�actif mais plus vraiment en pointe. C'est le cas avec des fonctionnalit�s li�es � la ��guerre des stories�� comme le fameux ��Facebook live�� (pour contrer le pionner Snapchat) ou encore avec le ��split testing tool�� (pour r�aliser des tests comparatifs sur deux �chantillons), le bouton ��Downvote�� (pour signaler les messages offensants), les chatbots, la marketplace (mais sans la fonction paiement), les sensibles comptes de comm�moration, le mur news feed et son algorithme, etc.

Quant aux menaces externes qui p�sent sur le groupe � moyen terme, nous pouvons citer d'abord la perte de confiance inqui�tante des utilisateurs (notamment les plus mod�r�s) li�e au scandale Cambridge Analytica et aux insuffisances de protection. On peut aussi souligner le fait que le droit de la concurrence va se durcir en ce qui concerne notamment la publication de fake�news. L?id�e ici est d?insister sur un risque de ��ringardisation�� du r�seau, ou du moins de perte de cr�dibilit�, qui lui serait fatal, car cela signifierait la fuite des clients. Autrement dit, des entreprises comme Wish et des milliers d'autres, et surtout de leurs tr�s rentables publicit�s cibl�es�!

Le moyen terme semble un horizon plut�t incertain pour le r�seau.

Des probl�matiques environnementales et g�opolitiques

Pour ce qui est des facteurs internes � long terme, ce sont � nouveau les difficult�s en terme de gouvernance et de vision qui �mergent, et notamment l?absence d'une politique de transmission claire et lisible du pouvoir au sein du conseil d?administration. C'est aussi, en coh�rence, l'incapacit� du groupe � faire �merger des alternatives cr�dibles � son business model bas� sur la data, l?externalisation et la volum�trie. Un mod�le qui semble de plus en plus difficilement tenable. C?est �galement la frilosit� affich�e de Facebook face au web marchand (toujours sans solution de e-paiement, except� via Messenger) et face � un crypto-entrepreneuriat (blockchain, bitcoin, ether, ripple, etc.) pourtant prometteur et porteur de projets.

C'est enfin l'absence de communication sur des initiatives �coresponsables li�es au green IT et � la soutenabilit� �nerg�tique (consommation des datacenters, fonctionnalit�s sobres, applications moins �nergivores, cycle de vie des donn�es, donn�es post mortem, etc.). Par exemple, la d�cision en 2014 (certes d�j� ancienne�!) de stocker des photos sur des disques Blu-ray pour �conomiser la consommation d'�lectricit� des serveurs n?a �t� que peu valoris�e. Malheureusement, ces politiques sobres et frugales, se heurtent frontalement au d�lire �nergivore du tout-vid�o et du streaming�!

� long terme, certaines difficult�s externes viendront l� encore des probl�matiques �nerg�tiques et �l�ctriques, si la mont�e en puissance du d�bat autour d'un num�rique de plus en plus �nergivore incite les utilisateurs � renoncer � leurs pratiques. N?oublions pas non plus les difficult�s g�opolitiques. Ainsi, dans la guerre commerciale qui s'annonce entre les �tats-Unis et la Chine, le r�seau am�ricain - d�j� censur� depuis 2009�par P�kin - risque de laisser quelques plumes num�riques si ses �quivalents chinois d�cident de s'attaquer au march� mondial. La populaire messagerie chinoise WeChat (Tencent) vient, par exemple, de d�passer le milliard d'utilisateurs au quotidien et son app�tit est massif. D?ailleurs, Facebook vient d?ouvrir une filiale d�di�e au d�veloppement de r�seaux informatiques, � Hangzhou, nomm�e Lianshu Science & Technology afin d?essayer malgr� tout de rester pr�sent (comme Google, Uber, Amazon et bien d'autres) au sein de l?empire du Milieu.

Une simple crise d'adolescence�?

Certes, Facebook enregistre toujours des b�n�fices nets confortables et s�duisants et un chiffre d'affaires malgr� tout impressionnant. Certes sa notori�t� reste exceptionnelle. Certes sa vitalit� et sa r�silience sont manifestes. Mais pour combien de temps encore ces atouts �clipseront-ils les menaces d�crites ci-dessus�? Tout semble indiquer qu?� l'�ge de 15�ans, l'incontournable r�seau social traverse aujourd'hui une r�elle crise d?adolescence?

Marc Bidan, Professeur des Universit�s - Management des syst�mes d?information - Polytech Nantes, Auteurs fondateurs The Conversation France

Cet article est republi� � partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l?article original.